La médiation animale : soutenir en mettant nos pas dans l’empreinte de leurs pattes
24 août 2023
Plusieurs connaissent déjà les chiens de soutien qui sont formés par la Fondation Mira. Quelques-uns de ces poilus se retrouvent d’ailleurs déjà dans différents CAVAC (voir un de nos précédents articles de blogue). Toutefois, la médiation animale est très différente dans son application et par les objectifs qu’elle souhaite atteindre. Nous mettrons donc en lumière cette modalité d’intervention qui se taille une place au sein du Réseau des CAVAC depuis quelques années déjà.
Pour ce faire, nous avons rencontré Marie-Hélène Lavoie, intervenante au CAVAC Saguenay Lac-St-Jean, Estelle Rodrigue, intervenante au CAVAC de Montréal, qui utilisent toutes deux cette modalité d’intervention depuis respectivement sept et quatre ans. Nous avons également rencontré Mme Emmanuelle Fournier Chouinard, psychologue et zoothérapeute depuis 22 ans, qui est aussi superviseure de nos deux intervenantes en médiation animale et fondatrice du centre Humanimal. (Voir encadré au bas de l’article)
Qu’est-ce que la médiation animale ?
La médiation de façon générale est une pratique qui vise à définir l’intervention d’un tiers pour faciliter la circulation d’informations, éclaircir ou rétablir des relations. Nous connaissons aussi plus largement le terme zoothérapie. La médiation animale est une appellation plus récente qui fait référence à la relation inter espèce qui se crée dans une intervention afin d’apporter un bénéfice chez les espèces (humains et animaux) participant à la triade d’intervention.
Mme Fournier Chouinard nous explique que depuis les 15 dernières années, nous constatons un essor de la zoothérapie. Il y a un plus grand engouement envers les animaux de compagnie. Ceux-ci sont passés du statut de « bien » à celui de membre à part entière de la famille. Les gens réalisent que les animaux les aident à gérer leur stress lors de moments éprouvants. On découvre les vertus thérapeutiques de la zoothérapie, alors nous l’intégrons dans la relation d’aide.
Qui sont ces animaux qui peuvent travailler en intervention?
Mme Fournier Chouinard nous explique que le premier critère est la volonté de l’animal. Par la suite, le profil recherché est un animal qui a un intérêt plus grand que la moyenne pour les relations avec l’humain, qu’il ait une bonne régulation émotionnelle et comportementale, qu’il soit expressif et sensible aux émotions. Il doit finalement être en mesure de bien travailler en équipe avec la personne intervenante. Il y a donc une évaluation de l’animal qui doit être faite préalablement avant d’inviter l’animal dans une triade d’intervention.
Le chien n’est donc pas le seul animal pouvant être sollicité pour faire de la médiation animale. Nous comptons également dans l’équipe d’Estelle, un chat, un lapin et un cheval.
Avant de débuter des rencontres de médiation animale, il y a tout un protocole à respecter. La clientèle est informée des règles à respecter et des mesures d’hygiène sont mises en place. La sécurité de l’animal ainsi que de la clientèle est très importante.
Pourquoi intégrer la médiation animale dans sa pratique?
Les personnes rencontrées sont unanimes, ce qui les ont motivées à intégrer cette approche dans leur pratique est d’abord leur propre expérience avec les animaux. Marie-Hélène mentionne être une personne créative, toujours à la recherche de nouvelles façons d’aider les personnes. Elle se demandait comment aider les gens ayant de la difficulté à entrer en relation. Grande amoureuse des chiens, elle chérissait ce rêve de faire de l’intervention avec son animal afin d’entrer en relation avec ces personnes. En 2016, grâce à une subvention, on lui a offert cette chance d’être formée en médiation animale par Mme Fournier Chouinard et intégrer son compagnon Zakk dans sa pratique auprès des personnes victimes mineures. Estelle, quant à elle, c’est sa curiosité intellectuelle et son amour des animaux qui l’ont amené à compléter une attestation d’étude collégiale en stratégie d’intervention en zoothérapie en 2016. Après avoir eu la chance de faire son stage de zoothérapie au sein du CAVAC de Montréal, où elle travaillait comme intervenante depuis déjà plus de 10 ans, c’est avec beaucoup d’enthousiasme qu’elle a accepté de mettre sur pied le projet de médiation animale.
Concrètement, quel est l’impact de la médiation animale avec la clientèle victime d’actes criminels?
Lorsque nous leur avons demandé comment cette modalité d’intervention aide la clientèle des personnes victimes d’actes criminels du CAVAC, elles s’entendent pour dire que l’animal permet avant tout de mettre des mots sur des émotions et des sentiments que la personne ressent. L’animal devient le reflet de l’état émotionnel interne de la personne victime. Estelle raconte que lors d’un suivi virtuel avec une jeune adolescente qui avait son propre animal, un gecko, la jeune disait très bien aller et était très peu volubile. Toutefois, son animal bougeait dans tous les sens, sans raison évidente. Après lui avoir reflété ce fait, l’intervenante a pu avoir accès aux émotions qui envahissaient la jeune à ce moment-là, émotions que le gecko ressentait. « Il faut donc être formée pour bien lire l’animal partenaire. En médiation animale, c’est l’intervenant qui est formé, et non l’animal. C’est ce qui distingue les chiens de soutien des chiens d’intervention » précise Estelle.
De plus, chez la clientèle ayant une grande difficulté à créer des liens avec ses pairs, la médiation animale est tout indiquée. Une personne victime qui a vécu différents traumatismes avec les humains peut avoir de la difficulté à faire confiance à d’autres êtres humains, même si celui-ci est un.e intervenant.e. Toutefois, il est tout à fait possible de créer une relation avec l’animal partenaire. C’est donc dans le cadre de cette relation avec l’animal que les interventions prendront forme, nous explique Mme Fournier Chouinard. La personne victime, en constatant que la personne intervenante traite bien le chien, apprendra tranquillement à faire confiance. Cette expérience d’intervention ne pourrait pas se produire dans un contexte humain à humain.
Un autre élément souvent abordé en médiation animale est la capacité à mettre des limites. Chez la clientèle victime d’actes criminels, nous retrouvons fréquemment cette conséquence. Ainsi, nous apprenons aux personnes victimes à mettre leurs limites en le faisant avec l’animal partenaire pour ensuite être capable de s’affirmer avec ses pairs, explique Marie-Hélène. Cela peut paraître simpliste, mais c’est tout sauf facile d’être capable de mettre des limites. Les animaux sont bons pour envahir l’espace des humains, alors c’est une bonne façon pour les personnes victimes de tester leur capacité à le faire.
Estelle utilise régulièrement son propre cheval, Zara, lors de ses interventions. Elle nous explique que le cheval est souvent plus attentif au non verbal de la clientèle. Il reflète une grande sensibilité en plus de dégager une grande force. Cela génère parfois des reflets chamboulant pour la clientèle. Dans le cadre d’une intervention avec Zara dans un dossier d’inceste par le père, la personne victime s’est positionnée comme un enfant devant le cheval et Zara représentait le père, l’agresseur, la personne qui fait peur, de qui on doit se protéger. Cela a ouvert sur des émotions enfouies auxquelles elle n’aurait pas eu accès, sans cette expérience de médiation animale.
Un projet en évolution
Pour l’avenir, les personnes rencontrées souhaiteraient que ce type d’intervention soit disponible dans l’ensemble du réseau, puisqu’elles ne peuvent que constater les bienfaits sur les personnes victimes, mais elles sont bien conscientes des défis que cela représente. D’ailleurs, un projet de recherche est en cours afin d’étudier l’impact de cette modalité d’intervention dans le cadre de rencontres de préparation au témoignage de personnes mineures, sur l’adhésion aux rencontres et le niveau de stress de celles-ci.
Au CAVAC Saguenay-Lac-St-Jean, cinq nouvelles personnes intervenantes ont débuté cette modalité d’intervention dans leur pratique depuis l’hiver 2023. Une belle équipe de poilus se joint donc aux intervenant.es de ce CAVAC.
Souhaitons longue vie à ce beau projet!
L’équipe de poilus du CAVAC Saguenay Lac St-Jean
Le Centre Humanimal, fondé par Mme Emmnuelle Fournier Chouinard, offre une panoplie de services à travers la mise en dialogue entre Pratique clinique, Formation et Recherche.
Le Centre Humanimal facilite l’expérience de relations saines et respectueuses entre les humains et les autres animaux afin d’actualiser le potentiel développemental de chaque espèce.
Le titre de notre article est d’ailleurs le slogan de ce centre.