Au-delà de la résilience…
8 décembre 2023
Nous souhaitions, pour ce nouvel article de blogue, mettre de l’avant le parcours d’une personne victime inspirante. Cette personne courageuse s’appelle Cynthia. Il est maintenant possible de la nommer, car elle a choisi de lever l’interdiction de publication afin de pouvoir parler de son parcours et peut-être encourager d’autres personnes victimes à dénoncer ou à poursuivre leur processus.
Nous avons donc eu la chance de rencontrer Cynthia, ainsi que son intervenante, Karine Mac Donald, qui nous ont parlé du long chemin parcouru par Cynthia pendant les cinq années qu’ont duré les procédures. Nous avons senti la complicité entre les deux femmes, Karine impressionnée par sa cliente et Cynthia reconnaissante de l’aide reçue par celle-ci.
« Son histoire est pourtant et malheureusement celles de plusieurs autres personnes victimes rencontrées dans ma carrière. Victime d’inceste par son père dès l’âge de 7 ans, jusqu’à l’âge de 18 ans. Mais je ne veux pas parler de son histoire de victimisation, car ce n’est pas ce qu’elle veut que l’on retienne, mais plutôt de son chemin, parsemé d’obstacles, qui la mène tranquillement vers la résilience et la connaissance d’elle-même. Et c’est en raison de ce chemin qu’elle m’a touché et qu’elle m’inspire tant d’admiration. »
Karine Mac Donald, intervenante du CAVAC
La première rencontre
C’est en septembre 2018 que leurs chemins se sont croisés. C’est le jour où Cynthia a raconté son histoire pendant de longues heures à une enquêteuse. Cynthia ne faisait confiance à personne depuis très longtemps lorsqu’elle a franchi la porte de la section des crimes majeurs du SPVM ce jour-là. Elle a décidé de faire confiance à cette enquêteuse qui semblait pouvoir l’aider et surtout, qui la croyait. Elle ne le savait pas encore, mais cette personne, la sergente-détective Marjorie Drouin, sera importante dans son parcours. C’est à la suite de cette longue entrevue vidéo, très difficile émotivement, que Cynthia est entrée dans le bureau de Karine. Cette dernière se rappelle ce jour comme si c’était hier.
« Cynthia était habillée le plus sobrement du monde (tout pour cacher ses formes de femmes), elle gardait sa capuche sur la tête, assise dans un coin, repliée sur elle-même et elle n’osait pas me regarder. C’est grâce à une posture d’humilité, de respect et de douceur que j’ai tranquillement pu gagner sa confiance.«
Karine Mac Donald, intervenante au CAVAC
Cynthia confirme que cette première rencontre fût marquante, tellement qu’elle s’est fait tatouer l’heure de leur première rencontre dans une clé. Cette clé représente l’image qu’elle a choisi afin de représenter sa résilience. Elle a décidé de s’ouvrir sur ce qui était enfermé depuis trop longtemps.
Karma, le husky labrador de Cynthia, son chien de soutien.
Les conséquences
Cette femme repliée dans un coin avait toutes les conséquences normales qu’une personne victime d’agression sexuelle peut ressentir. Honte, culpabilité, faible (quasi inexistante) estime d’elle-même. Elle en arrivait parfois même à normaliser les abus subis et s’en vouloir de dénoncer son père. Cette dualité entre l’amour qu’elle portait encore à son père versus le mal qui lui a fait, fut l’objet de longues heures d’intervention. Cynthia se rappelle en riant, « toi pis ta maudite chaise! ». Elle fait référence au jour où Karine lui a demandé de s’adresser à la Cynthia de 8-9 ans. Ce fut un point tournant dans son acceptation qu’elle était la victime, et son père, un agresseur, et qu’en rien, elle n’était responsable de ce qui s’était passé. Cependant, des centaines de fois, elle en a encore douté.
Amoureuse des animaux, Cynthia a aussi eu quelques rencontres de médiation animale avec l’intervenante zoothérapeute du CAVAC de Montréal. Elle a donc eu des rencontres avec des chiens, mais également avec un cheval. Lors d’une rencontre avec le cheval, elle a été marquée par l’effet que la bête a eu sur elle. Ce cheval immense devant elle, qui pouvait représenter son père alors qu’elle était petite et vulnérable, lui a permis de s’exprimer sur des émotions qu’elle n’avait jamais nommées jusque-là. Devant l’effet bénéfique des animaux, elle a d’ailleurs adopté un magnifique chien nommé Karma. Cette douce bête ne pouvait avoir un nom plus significatif pour sa maitresse.
Toutefois, afin de survivre à ces années d’abus, Cynthia s’est forgée une très grosse carapace. Celle-ci la protège partiellement des émotions douloureuses, mais encore à ce jour, il est difficile pour Cynthia de vivre des émotions positives. Elle accepte difficilement qu’elle a droit au bonheur et les petits moments de bonheur qu’elle vit sont souvent assombris par cette carapace qui bloque toutes ses émotions autant positives, que négatives.
Dans son cheminement, elle a accepté son homosexualité qu’elle refoulait depuis toujours, par crainte de son père. Elle a accepté de se montrer vulnérable et d’accepter l’aide des autres, de faire confiance. Un jour, elle est arrivée dans le bureau de Karine avec une belle robe colorée. Karine dit avoir été émue aux larmes ce jour-là.
Son parcours dans le système de justice
Nous vous parlions d’un chemin parsemé d’obstacles en début d’article et ceux-ci sont venus, entre autres, du système de justice. Il y a bel et bien eu la pandémie qui a engendré quelques délais, mais ce sont les multiples reports de l’avocat de la Défense qui ont prolongé les procédures pendant plus de cinq ans. À quatre reprises, après avoir écouté son entrevue vidéo, relus les notes manuscrites de l’enquête préliminaire, avoir eu des rencontres de soutien pour la préparer à son témoignage, on lui annonçait parfois, à moins de 24h d’avis, qu’elle ne témoignerait toujours pas ce jour-là. Vous pouvez imaginer l’état dans lequel cela la mettait à chaque fois, le niveau d’anxiété qu’elle vivait. Au 4ᵉ report, les intervenants autour d’elle, la procureure et l’enquêteuse ont tenté de mettre un plan de protection, car ils croyaient fortement à un risque suicidaire. Elle n’a finalement et heureusement pas fait de passage à l’acte, mais s’est ouvert la main sur le mur de brique du palais de justice de Laval dans un ultime excès de rage envers l’injustice de la situation. Elle ne croyait plus en la justice, ne pensait plus qu’il y aurait une fin au calvaire qu’elle endurait depuis toutes ces années. Le juge étant à l’écoute des personnes victimes, a tout fait pour que chaque remise soit dans un délai tout de même respectable. Elle a heureusement eu accès au chien de soutien de la Sureté du Québec, Manic, un très gros Terre-neuve très attachant. Il a été présent lors du témoignage au procès et lors de la lecture de sa déclaration de la victime sur les conséquences du crime. La présence de l’animal a fait toute la différence.
C’est le 27 novembre 2023 que le poids que portait Cynthia sur ses épaules est tombé. Son père, son abuseur, a été condamné à 14 ans de pénitencier. La honte a changé de côté. Cette peine est plus sévère que ce que la procureure de la Couronne demandait. Le jugement de 47 pages du juge fut un baume pour Cynthia. Il a défait plusieurs mythes et préjugés en lien avec l’inceste, en rappelant la littérature à ce sujet, sur les conséquences vécues par les victimes de ce crime. Il a également souligné le courage de Cynthia tout au long de ce processus et lui a souhaité bonne chance pour la suite. Il ne pouvait pas y avoir plus belle fin pour elle.
Cynthia et Manic, le chien de soutien de la Sureté du Québec
L’équipe !
Cynthia ne cesse de parler de SON équipe, elle nous explique : « On souligne beaucoup mon courage, mais je n’aurais pas été capable de passer au travers sans mon équipe autour de moi. Je ne serais probablement pas là pour parler si elle n’avait pas été là. Je parle de Karine, mais aussi de mon enquêteuse Marjorie et la procureure, Me Brenda Toucado. Elles ont été là à chaque étape, elles m’encourageaient à poursuivre, m’écoutaient, croyaient en moi, même si des fois je n’étais pas super gentille avec elles à cause des émotions que je vivais. Jamais elles ne m’ont jugé. Cet accompagnement est nécessaire pour passer au travers ».
Sur la photo, « L’équipe de Cynthia » De gauche à droite: Marie-Claude Pinard, SD à la Sureté du Québec et maître de Manic; Karine Mac Donald, CAVAC ; Cynthia; Marjorie Drouin, SD au SPVM; Me Brenda Toucado, procureure au DPCP.
Partager son histoire pour aider les autres
Elle a choisi de lever l’interdiction de publication afin de pouvoir parler dans les médias pour faire entendre son message. À la suite de la sentence, plusieurs articles et reportages ont souligné son parcours de combattante. Karine et Cynthia ont d’ailleurs eu la chance de participer à l’émission Tout le monde en parle. Elle a reçu des dizaines de messages d’encouragement ainsi que de personnes victimes qui nommaient que son histoire leur avait fait croire au système de justice et donné le courage nécessaire pour poursuivre leur cheminement.
Mission accomplie !
Et l’avenir maintenant ?
Quand on demande à Cynthia quels sont ses projets maintenant que tout cela est derrière elle, elle nous répond « Je peux enfin regarder vers l’avenir, me marier avec ma blonde, fonder une famille. C’est mon plus grand rêve d’avoir un enfant pour lui donner l’amour que je n’ai pas pu avoir. J’ai aussi hâte de reprendre le travail, de reprendre une vie active ».
Nous désirons féliciter cette jeune femme pour son courage et nous lui souhaitons tout le bonheur qu’elle mérite. Son cheminement n’est pas terminé, mais elle commence à voir la lumière et les possibilités que l’avenir lui réserve.